Les nouveaux gisements de valeur

Parmi tous les défis à relever pour effectuer notre transition écologique, l’un des plus importants est certainement celui de la gestion de nos ordures. En 2019, près de 54 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produits. Parmi ces millions de tonnes, on estime que seulement 20% sont recyclés ou remis en circulation. Pourtant, la piste du réemploi s’avère très intéressante sur plusieurs points, puisqu’elle allie des bienfaits environnementaux, une action sociale grâce aux emplois qu’elle crée et des retombées économiques grâce à la valeur de revente des fameux déchets. En observant le potentiel de l’économie circulaire en termes de viabilité environnementale, le groupe Manutan a décidé d’en faire son nouveau cheval de bataille.

Pour comprendre l’origine de la filiale économie circulaire de Manutan, il est nécessaire de faire un léger bond dans l’espace-temps. Retour en 2016, Pierre-Emmanuel Saint-Esprit et Timothée Mével se rencontrent sur les bancs de l’université de Berkeley. Sensibles aux enjeux environnementaux et passionnés par l’économie circulaire, ils lancent Zack, une startup spécialisée dans la collecte de matériel électronique usagé. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit raconte : “A l’origine, Zack ciblait le marché B2C en offrant aux particuliers une solution plus simple pour se débarrasser de leurs produits indésirables. Il y avait un vrai besoin de fluidifier le débarras de matériel électronique”. Au fil du temps, la jeune pousse s’est orientée vers un modèle BtoB en étendant ses services au matériel bureautique professionnel. En quelques années, Zack a pris du galon, et en 2020, la startup a même été classée dans le top 3 des meilleures entreprises françaises de l’économie circulaire d’après le sommet Tech For Good.

À la même époque, le groupe Manutan, l’un des plus grands fournisseurs européens de produits et services aux entreprises, projette d’adopter une démarche plus durable. À la faveur de valeurs communes, les deux entités se sont naturellement rapprochées, jusqu’en février 2022 où Zack a finalement intégré Manutan, donnant ainsi vie à la branche économie circulaire du groupe, dont Pierre-Emmanuel Saint-Esprit a été nommé directeur. “Cela a été l'occasion d’ouvrir nos perspectives” dit-il “En travaillant dans toute l'Europe, et sur de nouvelles catégories de produits”. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit explique que “Plus de 5 ans après la naissance de ZACK, nous souhaitons nous développer avec un grand groupe qui partage nos valeurs. Ce rachat nous permet d’accélérer nos activités commerciales et logistiques tout en mutualisant nos compétences, tout le monde est gagnant !”

Pour la nouvelle entité, l’objectif est double : il faut adopter une démarche plus vertueuse, puis intégrer les clients et fournisseurs dans cette transition. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit l’affirme : “Le but, c’est de sortir petit à petit d’un modèle économique basé sur le produit neuf, pour arriver sur quelque chose de plus vertueux, et à terme, neutre en carbone”. Dans cette optique, Manutan a développé son premier produit s’inscrivant pleinement dans l’économie circulaire : un bureau issu à 98 % du réemploi, fabriqué en collaboration avec le groupe d’insertion professionnelle Arès. La conception de ce dernier permet d’éviter 80% d’émissions de CO2 à la production, et le rejet de près de 27 kg de déchets. Ce produit prend le rôle d’ambassadeur, puisqu’en conservant un prix compétitif, une bonne capacité de production et un court délai de livraison, il permet à certains clients de mettre un pied dans l’économie circulaire. Une fois cette fameuse notion introduite, Manutan est en mesure de proposer ses services de collecte de déchets hérités de Zack, incluant ainsi pleinement son interlocuteur dans la démarche.

Pour porter cette volonté d’intégrer le plus d’entreprises possibles dans un système plus vertueux, il faut parvenir à convaincre. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit le rappelle : “Il est parfois compliqué de faire en sorte que les gens aient confiance en l’économie circulaire sur le long terme”. Pour s’étendre, il faut d’abord séduire le client, en faisant en sorte qu’il ne soit jamais lésé en faisant le choix de l’économie circulaire et pour y arriver il faut que les fournisseurs jouent également le jeu dans leur approche de production. Selon Pierre-Emmanuel Saint-Esprit : “Niveau fournisseur, l’offre de produits d’occasion ou reconditionnés est encore trop faible. Ça évolue petit à petit, mais il y a encore un retard à ce niveau-là”. Autrement dit, l'équilibre du cercle vertueux est difficile à trouver !

Et pourtant, il va falloir le trouver, cet équilibre. 54 millions de tonnes, c'est le volume de déchets électroniques généré dans le monde en 2019, en hausse de 21 % en seulement cinq ans selon le dernier rapport Global E-Waste Monitor des Nations Unies. Selon la même étude, la quantité de ces déchets atteindra près de 80 millions de tonnes d'ici 2030, faisant du secteur de l’électronique le producteur d’ordures connaissant la plus forte croissance.